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Cours Philosophie – Autrui, médiateur indispensable pour accéder à soi-même

Cours Philosophie – Autrui, médiateur indispensable pour accéder à soi-même

  1. La conscience de soi requiert la reconnaissance d’autrui (Hegel)

Comme nous l’avons déjà vu, pour Hegel la conscience a besoin de s’extérioriser et surtout de rencontrer autrui pour prendre conscience d’elle-même grâce à la reconnaissance qu’autrui lui renvoie. Cette idée peut vous sembler exotique, mais il faut admettre que notre vie sociale normale est intégralement structurée par cette reconnaissance qu’autrui nous témoigne, et il n’est pas évident du tout de savoir ce que nous serions sans cette reconnaissance.  Selon Hegel, la lutte pour la reconnaissance s’effectue essentiellement à travers le conflit, comme l’illustre la dialectique du maître et de l’esclave :

Lutte entre deux individus pour le pouvoir ; au terme du conflit, l’un des deux abandonne et se soumet : il sera l’esclave, le serviteur. Il se soumet, c’est-à-dire qu’il préfère la vie à la liberté. Il nie donc sa propre liberté. Il se dissout dans la conscience du maître, il devient l’instrument de la liberté du maître.

(a) Le maître jouit, comme l’animal. Il n’est plus en rapport à la nature, donc sa conscience ne se développe plus. Il a besoin de l’esclave, donc il le reconnaît comme un moyen, le moyen de sa survie.

La situation est donc asymétrique : le maître reconnaît l’esclave (comme moyen) mais l’esclave ne reconnaît pas le maître.

L’esclave prend conscience que c’est par accident qu’il est esclave, que le maître n’a rien de supérieur à lui, qu’au contraire il dépend de lui. Il va donc se révolter et exiger que le maître le reconnaisse comme son égal.

2.  Autrui me permet de me connaître moi-même (Sartre)

Ce n’est pas dans le conflit mais dans l’épreuve du regard que Sartre voit le paradigme5 de la relation à autrui, par laquelle je prends conscience de moi-même. Quand autrui me regarde, j’éprouve directement sa subjectivité ; et en même temps je me découvre moi-même comme objet, c’est-à-dire que je me connais. La connaissance de soi est indissociable d’autrui, car je ne peux être objet que pour un sujet.

Je ne puis être objet pour moi-même car je suis ce que je suis ; livré à ses seules ressources, l’effort réflexif vers le dédoublement aboutit à l’échec, je suis toujours ressaisi par moi. Et lorsque je pose naïvement qu’il est possible que je sois, sans m’en rendre compte, un être objectif, je suppose implicitement par là même l’existence d’autrui, car comment serais-je objet si ce n’est pour un sujet ? Ainsi autrui est d’abord pour moi l’être par qui je suis objet, c’est-à-dire l’être par qui je gagne mon objectité6. Si je dois seulement pouvoir concevoir une de mes propriétés sur le mode objectif, autrui est déjà donné. Et il est donné non comme être de mon univers, mais comme un sujet pur. Ainsi ce sujet pur que je ne puis, par définition, connaître, c’est-à-dire poser comme objet, il est toujours , hors portée et sans distance

4 Il rend objectif.

5 Modèle théorique de pensée qui oriente la recherche et la réflexion scientifiques.

6 C’est-à-dire le statut d’objet, par opposition à celui de sujet.

lorsque j’essaie de me saisir comme objet. Et dans l’épreuve du regard, en m’éprouvant comme objectité non révélée, j’éprouve directement et avec mon être l’insaisissable subjectivité d’autrui.

Jean-Paul Sartre, L’être et le néant, p. 316-317

Autrement dit, pour Sartre je fais l’épreuve de la liberté d’autrui à travers mon propre esclavage – ce qui rappelle la vision de Hegel, dont Sartre était un grand lecteur. Sartre donne un exemple concret de cette épreuve du regard d’autrui : le phénomène de la honte. Cf. le texte de Sartre dans le manuel p. 65.

3.  Autrui est la condition de possibilité de la conscience elle-même (Nietzsche)

Selon Nietzsche, la conscience elle-même est née du rapport à autrui. En effet, il affirme que la conscience (humaine ou animale) est née du besoin de communication, ce dont témoigne encore le fait que notre conscience se manifeste essentiellement sous la forme du langage (car ce que nous appelons « conscience » désigne le plus souvent la petite voix que nous entendons dans notre tête et qui exprime nos pensées).

Le problème de la conscience (plus exactement : de la prise de conscience) ne nous apparaît que lorsque nous commençons à saisir dans quelle mesure nous pourrions nous passer d’elle : et c’est à ce commencement de compréhension que nous conduisent aujourd’hui la physiologie et la zoologie (qui ont donc eu besoin de deux siècles pour rallier le soupçon anticipateur de Leibniz). Nous pourrions en effet penser, sentir, vouloir, nous rappeler, nous pourrions de même « agir » à tous les sens du mot : et tout cela n’aurait pas besoin pour autant de « pénétrer dans la conscience » (comme on le dit de manière imagée). Toute la vie serait possible sans se voir en quelque sorte dans un miroir : et en effet, la partie de loin la plus importante de cette vie se déroule encore en nous sans cette réflexion –, y compris notre vie pensante, sentante, voulante, si offensant que cela puisse paraître aux oreilles d’un philosophe des temps passés. A quoi bon la conscience en général, si elle est pour l’essentiel superflue ? – Eh bien, si l’on veut bien prêter l’oreille à ma réponse à cette question et à sa conjecture peut-être extravagante, il me semble que la finesse et la force de la conscience  sont toujours liées à la capacité de communication d’un homme (ou d’un animal), et que la capacité de communication est liée à son tour au besoin de communication. (…) [L]à où le besoin, la nécessité ont longtemps contraint les hommes à communiquer, à se comprendre mutuellement avec rapidité et finesse, il finit par exister une surabondance de cette force et de cet art de la communication. (…) A supposer que cette observation soit exacte, il m’est permis d’avancer jusqu’à la conjecture suivante : la conscience en général ne s’est développée que sous la pression du besoin de communication, – elle ne fut dès les début nécessaire, utile, que d’homme à homme (en particulier entre celui qui commande et celui qui obéit), et elle ne s’est également développée qu’en rapport avec le degré de cette utilité. La conscience n’est proprement qu’un réseau de relations d’homme à homme, – et c’est seulement en tant que telle qu’elle a dû se développer : l’homme érémitique7 et prédateur n’aurait pas eu besoin d’elle. Le fait que nos actions, nos pensées, nos sentiments, nos besoins, nos mouvements pénètrent dans notre conscience – au moins en partie –, c’est la conséquence d’un « il faut » ayant exercé sur l’homme une autorité terrible et prolongée : il avait besoin, étant l’animal le plus exposé au danger, d’aide, de protection, il avait besoin de son semblable, il fallait qu’il sache exprimer sa détresse, se faire comprendre – et pour tout cela, il avait d’abord besoin de « conscience », même, donc, pour « savoir » ce qui lui manque, pour « savoir » ce qu’il pense. Car pour le dire encore une fois : l’homme, comme toute créature vivante, pense continuellement, mais ne le sait pas ; la pensée qui devient consciente n’en est que la plus infime partie, disons : la partie la plus superficielle, la plus mauvaise : – car seule cette pensée consciente advient sous forme de mots, c’est-à-dire de signes de communication, ce qui révèle la provenance de la conscience elle-même. Pour le dire d’un mot, le développement de la langue et le développement de la conscience (non pas de la raison, mais seulement la prise de conscience de la raison) vont main dans la main.

Nietzsche, Le Gai savoir, § 354

7 Propre aux ermites.

On peut aller plus loin et essayer de montrer qu’autrui n’est pas seulement la condition de la connaissance de soi, mais qu’il est aussi la condition de la connaissance des choses.

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